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DNews : la journée idéale n’est pas un mercredi

“Et c’est qui, Fati-baïq, alors ?”

Un mercredi sur terre. Je jure que toute cette scène n’a pas pris plus de 37 secondes.

“Non, vous n’y êtes pas, fatbike, c’est un vélo, pas une pers-Luce, je n’aime pas trop que tu grimpes sur le plan de travail où je prépare le repas.”

Ça grésille dans le combiné. Je le tiens d’une main, tape au clavier de l’autre – une mise à jour de mon site sous wordpress et une conversion de fichiers vidéo que je surveille d’un oeil. Je me suis retourné le temps d’apercevoir ma numéro deux : son ascension de la face nord de la cuisine lui procure manifestement beaucoup de satisfaction.

“Suis grande moi !
– Luce, s’il te plaît, redescend.
– Je vois qu(grésillement)us êtes occupé, je peux rappeler pl(grésillement)nd ça sera plus calme.
– Ah-AH !”

 

 

Je ris, oui. Le sarcasme doit sourdre de ma voix comme la sueur de la lèvre supérieure d’un officier des douanes vietnamiennes pendant la mousson.
Un moment plus calme ?

“Pour ça, il faudra appeler au milieu de la nuit. Ou quand je serai mort. Ce qui ne devrait pas tarder.
– Comment ?
– Rien, je plaisante, non, continuons je vous prie.”

Finissons-en, bordel !

“Pardon ?”

Mince, ai-je pensé ce que j’ai pensé ou l’ai-je dit ?

“Euh… non, c’est que je n’aurai guère d’opportunités plus tranquilles de répondre à votre inter-punaise elle a pissé sur le plan de travail !
– Allô ? Je vo(grésillement)tends mal. Plissé quoi ?
– Luce, bon sang de bois !
– Fait pipi sur la table moi.” Je jaillis de mon bureau. “Deux pipis. Là. Et là.” Un grelot strident me stoppe. “C’est quiiiiiii ?”

On a sonné à la porte. Lirio accoure. J’attrape Luce. L’apprentissage de la propreté réserve ses grands moments de solitude. Prendre un enfant dans ses bras… et tant pis pour le pipi essuyé sur la hanche. Ça ou les mains pleines de chocolat passées dans les cheveux. D’ailleurs…

“Non, Luce, pas de câlin attends, fais voir tes mai-”

Voilà. C’est ce que je disais. Elle avait mangé du chocolat. Deuxième coup de sonnette. Lirio tend la main vers la clenche.

“Attends Lirio, c’est déjà ouvert de l’autre côté, ça va faire un-”

Elle ouvre la porte en grand.
“- courant d’air…”

Quel profond débile a eu l’idée brillante d’un appartement sans cloisons ?
Les rideaux volent, les fenêtres claquent, et toutes les cacahuètes que j’épluchais patiemment depuis 45 minutes tourbillonnent à travers la cuisine. Les cosses brisées se répandent en une poussière inégale. Sur les chaises, le canapé, la table.
Toutes ?
Non. Trois sont encore collées par l’urine à mon plan de travail. Elles me narguent.

 

 

L’urine coule subrepticement le long du meuble – je le jure, je la vois faire un détour, et nier la gravité, pour s’infiltrer dans l’entrebâillement de la porte, si, je le vois, je le jure – et sur le sol. Dois-je préciser que j’ai passé la serpillère ce matin ?

“Un recommandé pour monsieur Dam-euhhhh…”

Le facteur contemple l’apocalypse de l’air las et renfrogné de celui qui a marché dans une crotte. Retenez-bien cette comparaison, nous en aurons besoin par la suite.*

“Crotte”, je pense. Bah oui : au moins, ce n’est qu’un pipi. Je me rassure comme je peux.

“C’est qui le monsieur lààààà ?”

Je pose Luce. Est-ce une erreur stratégique dont je ne mesure pas encore pleinement les conséquences ? Je ne saurais dire.

“Il me faut une signature.
– Liriofermelaportes’ilteplaît Lucecessedegicotertudégoulines viensdansmesbras allôouilefatbikeestunvélopourroulersurlaneig-”

J’ai toujours le combiné dans une main. Lirio claque la porte au nez du livreur. Tout juste eu le temps de voir l’en-tête du courrier : mise en demeure des impôts.

“Non, Lirio, pardon, l’autre porte, celle de la terrasse s’il te plaît.”

Elle fait volte-face. Fonce. Cette enfant a une foulée superbe. Moment de grâce… et :

“Attention ! ne marche pas dans le pip-”

Elle marche dans le pipi. Glisse contre le plan de travail avec un petit cri. Se saisit, dans un effort pour rétablir sa trajectoire, d’un bidon d’olives. C’est que j’aime, pour cuisiner, avoir tous les ingrédients essentiels sous la main. Je me targue d’avoir la cuisine du siècle, moi madame. Je suis un homme moderne, moi madame, entré de plein pied dans le troisième millénaire, pourvoyeur en nourriture saine de ses chères têtes blondes.

Non, vous vous dites, non.

Non, pas les olives.

 

 

Je sais, je sais, c’est ce que je me dis également.

En cet instant précis, en plein courant d’air, entre un facteur démoralisé, une flaque de pisse saupoudré de miettes de cacahuètes, avec mes deux filles comme autant de créatures incontrôlables lâchées dans l’appartement (Note pour plus tard : ne pas les nourrir après minuit, d’ailleurs ne plus les nourrir du tout, vendre l’appartement, aller vivre dans une cabane au bout d’une forêt, une forêt impénétrable et silencieuse, oh oui silencieuse…), c’est très exactement ce que je me dis. Les mots s’impriment sur ma rétine comme le titre d’un film. Non, pas les olives. Pas les olives. Images au ralenti…

Mais la vision d’un nappage de scène à l’huile d’olive m’est épargnée. D’effroi, j’ai fait un pas de recul. Et mis le pied dans un truc mou et un peu visqueux.

Je pivote. Le livreur me fait face. *Je lis dans ses yeux que j’ai désormais tout à fait la même expression que lui.

“Oh moi ai fait caca aussi moi là.”

Soupirs. Las et renfrogné. Cqfd.

“Gros caca !”

Si l’on était dans un film, un écran noir couperait court à mon martyre pour appuyer encore plus le ressort comique de la situation. Sans doute qu’on entendrait juste le bruit spongieux des olives qui cavalent sur le lino mais il m’épargnerait la sensation de la matière fécale coulissant entre mes orteils. Je ne verrais pas non plus l’air de profonde commisération qui a remplacé sur le faciès de mon facteur l’expression “j’ai-marché-dans-un-fécès”. Mais voilà, les films sont mon métier mais ils ne me sauvent pas toujours de la situation. Là, on est dans ma vraie vie de papa-à-la-maison-mais-qui-bosse-tout-le-temps (Note pour plus tard : cumuler les jobs de père à domicile, réalisateur, conférencier et agent n’est pas raisonnable. Du tout).

Heureusement, pour mon réconfort, il y a les commentaires laissés sur internet par les clients qui ont achetés mes “œuvres”. Je les lis, le soir, une fois mes monstroplantes en short assom-couchées, couchées bien sûr.

Comme celui-ci, que j’ai découvert par hasard – et après avoir passé une seconde fois la serpillière (sol, meubles, et murs), changé Luce, soigné Lirio, signé le recommandé (effectivement, les impôts…), achevé l’entrevue téléphonique avec la journaliste qui ne savait plus s’il fallait rire, pleurer, ou raccrocher.

 

Capture d’écran 2015-05-28 à 17.05.08

Vraiment, ma vie est exceptionnelle.

Mais tu sais quoi, Hannibal Lecteur ? Si j’ironise aussi sereinement sur les petits tracas de mon insignifiante existence, c’est que je peux me le permettre. Cela m’est facile de tourner en dérision mes embûches quotidiennes, car dérisoires, elles le sont. Ce n’est pas le cas pour nos amis népalais – et je ne donne pas là dans la figure de style affectée. Delfe et moi, nous avons des amis au Népal. De vrais amis, des gens de cœur qui nous ont adoptés, accueillis, aimés. Par chance, ils ont survécu aux terribles séismes qui ont cassé leur beau pays. Mais c’est un combat quotidien pour s’en sortir – lire : survivre – dans ce pays très peu développé où règne désormais une pagaille mortifère. Si cela vous touche, sachez que :

  •  l’organisme de notre copain Anish Neupane, “VolNepal“, pilote plusieurs projets de reconstruction en réponse directe aux séismes, ainsi que nombre d’autres dont l’importance est cruciale au Népal (éducation, santé, droits des enfants et des femmes…) ; comme nous, vous pouvez leur faire un don, ça ne sera pas de trop ;
  • dans le cadre des séismes qui ont si durement frappé le pays, justement, les transferts d’argent vers le Népal sont gratuits avec Western Union ;
  • j’ai enfin découvert un organisme par le biais duquel il est possible de prendre en charge les frais scolaires de jeunes népalais : le PDRC (Professional Development and Research Center) ; accessoirement, il vous en coûtera moins de 300 € pour assurer un an de scolarité à un jeune népalais.

Bon, sur ce, je vais travailler un peu. En effet, je serai à Quetigny, près de Dijon, le mardi 2 juin pour une projection d’Autarcies.

 

Quetigny-affiche_Autarcies

 

Et puis il faut que je termine la boutique Planète.D et que je finalise le DVD de mon nouveau film “Pneus Hiver Obligatoires“. Ça ne s’arrête jamais… Enfin ! Cela m’a fait du bien de faire une pause, le temps de te raconter ma vie, de rire un peu, cher lecteur. Et puis, ce n’est pas tous les jours aussi compliqué. Maintenant, par exemple, tout se passe bien. Alors que je termine cette petite DNews, Lirio chantonne en se balançant dans un hamac sur la terrasse. Elle mange une glace maison poire-chocolat, mais je pense que c’est bon, elle a 5 ans et demi désormais. Luce joue sagement sur le canapé avec un puzzle. Je la surveille du coin de l’oeil, on ne sait jamais ce q-mais c’est pas un puzzle, c’est mon recommandé !

“Papaaaa ? sans faire exprès là sans faire exprès j’ai euh en fait euh sans faire exprès j’ai fait une bêtise parfum poire-chocolat sur le hamac là…”

LIIIIRIIIOOOOO !

“Moi fait pipi là sur le papier de toi. C’est vrai !”

LUUUUUUUCEEEEEEEEE !

 

Initialement publié le / Originally posted on 28 mai 2015 @ 7:02 pm

4 commentaires sur “DNews : la journée idéale n’est pas un mercredi”

  1. Je ne devrais pas dire ça mais merci pour cet article ce moment de partage qui me rappelle tant mon quotidien avec les filles parfois….

  2. Ouîîîi^^! je ne dirais pas que l’histoire de ta vie m’intéresse à ce point (quoique, cela se discute aussi : mon voisin c’est moi aussi, isnt’it ??) – mais ton style bouillonnant, rafraîchissant me parle drôlement (dans le style adverbes de manière lourds lourds, je fais fort ! dans l’emphase aussi mais toute empathique 🙂
    Continue à nous séduire & à nous instruire par ton parler vrai, sensible et tes images multiples sensitives et réelles, révélatrices de nous, de soi :-)))) Là est l’essence de l’essentiel………… focus 🙂

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