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Arithmétique audiovisuelle – le paradis des maisons de production

Je vais ce jour lâcher la bride à mon côté sombre et râleur que certain(e)s connaissent (malheureusement trop) bien et ouvrir ma gueule une fois de plus – et me faire quelques ennemis une fois de plus – mais je laisse le lecteur juge : n’est-il pas légitime de partager ce genre d’information ? D’autres victimes potentielles pourraient peut-être en prendre bonne note.

 

Alors voilà en résumé l’affaire… qui n’est pas nouvelle mais je n’avais jamais dévoilé tous les détails.

 

C’est l’histoire d’un jeune réalisateur novice et parfaitement inconnu qui revient d’un long voyage avec des heures d’images vidéo. Il a déjà fait des films avec, modestement, de petites vidéos, et s’apprête à passer à la vitesse supérieure : longs métrages documentaires.

 

On lui présente une maison de production qui lui fait miroiter une diffusion télé.

Pourquoi pas ?

 

On lui propose alors un contrat à signer, contrat qui, une fois lu et partagé avec des amis (avocat, producteur, monteur…) semble l’arnaque faite papier. Commence une lourde bataille avec échange de noms d’oiseaux et autres douceurs orales et écrites et l’intimidation devient l’axe principal de communication du côté de la maison de production – “Tes films sont mauvais, sans nous tu ne feras jamais rien”, “Tu demandes la lune”, “Même les grands réalisateurs ne demandent pas le quart de ce que tu demandes”…

 

Tout ça pour que 3 mois plus tard, la maison de production convienne finalement, en totale contradiction avec le discours tenu jusque là, que les attentes de notre ami jeune réalisateur sont parfaitement légitimes et qu’on ne peut pas véritablement faire moins…

 

Contrat signé, notre réalisateur est rémunéré : 8000 € pour 4 films que la maison de production va vendre à une chaîne. 8000 € pour 4 films que la maison de production va vendre 32000 € à la chaîne… (8000 € PAR film). Et 10% de droits d’auteur obtenu de haute lutte après des échanges de mails dégradants.

 

Là, notre jeune réalisateur enquête, car l’idée que son travail soit exploité par une entreprise qui n’a participé en rien, et ce en générant au passage 300% de bénéfice, l’interpelle…

 

Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg pourtant.

 

Il s’avère en effet que c’est là une pratique courante de la part des maisons de production de ce type de maquiller des projets déjà réalisés en proposition de projets afin de solliciter les subventions du CNC – Centre National Cinématographique. On apprend alors que pour un projet déjà achevé et dont toutes les images sont dans la boîte, la maison de production a monté un dossier complet prétextant l’emploi de diverses personnes, techniciens, ressources diverses et variées, pour demander une grasse subvention au CNC.

 

Qui lui accorde automatiquement car notre maison de production a pignon sur rue et produit tellement d’oeuvres (sic !) chaque année que le CNC ne prend plus la peine d’étudier ses demandes.

 

La maison de production récolte donc au passage, en plus des 32000 € de vente à la chaîne, entre 40000 et 50000 € de subventions du CNC. Pour un projet virtuel auquel elle ne participe en rien (aucun investissement, aucun frais de réalisation, aucun risque financier, juste à postériori l’emploi d’un monteur pour faire les films, et l’administratif habituel inhérent à un tel projet).

 

NB d’ailleurs, le point positif majeur de toute l’affaire, le seule probablement, c’est ce monteur, qui est un monteur indépendant et donc pas à la botte de la maison de production, qui a fait un bon boulot, et surtout qui est devenu un ami cher, une référence et un référant, un gars de confiance qui m’a bcp appris et fait progressé 🙂 

 

50000 € d’argent public – le tien, le mien, le nôtre – habilement détourné (bah oui) par la maison de production.

 

Récapitulons :

  1. Notre jeune réalisateur à travaillé et voyagé des années sur ses fonds propres, son argent de poche, ses économies ; il a bossé seul sans soutien, sans encadrement ; ramené des images qui plaisent à la télé.
  2. On le rémunère 8000 € pour un projet dont il est seul auteur et qui génère 32000 + 50000 = 82000 € de recettes soit 10 fois plus
  3. Ces recette sont récoltés par une maison de production qui n’a participé en RIEN au projet, ni avant ni pendant, et qui n’a – après – qu’effectué le travail minimal sans aucun risque financier.

Déduction faite du maigre salaire du monteur et des frais administratifs ou logistique, on conviendra que si la mise de 8000 € rapporte mettons 60000 € c’est bien payé pour s’approprier le travail d’autrui. Et oui car au passage, et malgré les récriminations de notre jeune réalisateur, on l’a dépossédé de son oeuvre et de son travail : le contrat contient des clauses obscures qu’on avait demandé à enlever mais qui sont réapparues comme par magie et qui en gros disent que toutes ces images ramenées des 4 coins du monde à la sueur de son front appartiennent désormais à la maison de production qui en fait ce qu’elle veut et les vend à qui elle souhaite – notez, dans un tel cas, notre réalisateur en herbe est censé toucher un dérisoire pourcentage… mais on lui explique que “faute de personnel pour traiter ces tâches de comptabilité il est fort probable qu’il n’en voit jamais la couleur”. Et oui car en se faisant 80000 € sur le dos de jeunes réalisateurs intrépides et naïfs comme notre copain, la maison de production n’estime pas pertinent de rémunérer correctement un personnel compétent pour lui payer ses droits d’auteur, à notre petit jeune qui n’a plus le droit de vendre son travail à d’autres clients pour tenter de gagner sa croûte comme tout le monde.

 

Alors je pose la question, car il y a peut-être parmi vous des esprits bien plus éclairés que le mien, et peut-être n’ai-je pas tous les éléments qui permettraient (rêvons un peu) d’expliquer cette troublante arithmétique de l’audiovisuel :

 

Est-ce bien ainsi que cela fonctionne partout ? Est-ce légitime ? Tolérable ? Explicable ?

 

La morale de l’histoire – à mon avis…

  1. Bon et con ça commence par la même lettre
  2. Vive la France…
  3. Si tu es sur le point de signer un contrat semblable, bouffe ton stylo et garde ta liberté

PS Quelques années plus tard, une chaîne de télé désire acheter les films que notre réalisateur a fait lui-même à partir des images de son voyage. Pas de chance, on l’a dit, le contrat avec la maison de production l’interdit… une clause de contrefaçon, enlevée puis remise subrepticement… et du coup, c’est à nouveau la maison de production qui décroche le jackpot, vend à la télé, et notre réalisateur voit une fois de plus le fruit de son travail lui échapper et remplir les poches des autres. 

 

PPS Si tu as, lecteur, en ta possession des éléments que j’ignore qui permettent d’expliquer/justifier ce qui du point de vue du réalisateur indépendant ressemble à s’y méprendre à une arnaque institutionnalisée, partage ! Je suis toujours prêt à changer d’avis, ça me ferait même du bien, sur ce coup là…

Initialement publié le / Originally posted on 15 octobre 2011 @ 2:19 pm

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