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Zébrures ordinaires

Multitâches – en option ?

Présentée ainsi, il est vraisemblable qu’une telle exubérance de capacités puisse être perçue comme un étalage vantard de qualités. Qu’on ne s’y méprenne. Je ne qualifie pas, je décris. Les nuits blanches avec pour toute compagne l’appétit obsessionnel et incontrôlable d’accomplir, ne pas tenir en place et décrocher d’une conversation ou d’un repas dominical parce qu’on a le cerveau assailli d’idées et d’envies, s’endormir d’ennui en classe, être infoutu de “faire comme tout le monde” alors que ça serait tellement plus simple, se faire fustiger pour manque de correction parce qu’au beau milieu du repas on se lève pour aller griffonner des idées sur une feuille, cela relève souvent du sacerdoce. C’est à tout le moins très inconfortable et bien assez fréquemment, c’est un fardeau.

Je me mets tout seul dans le pétrin, avec ces manies. Je suis incapable, par exemple, de ne faire qu’une chose à la fois. C’est maladif, j’optimise tout. Si je dois faire cuire des œufs à la coque, les 4 minutes que l’opération va consommer, je ne peux m’empêcher de réfléchir à quelle autre tâche elles peuvent être consacrés, le tout en consultant mes emails, en passant le balais parce que je ne supporte pas le désordre et la saleté (oui, allez-y, dites-le : maniaque, c’est ça) et en lisant le chapitre d’un livre passionnant sur la guerre civile en Espagne (” encore un chapitre, juste un chapitre maman s’il te plaît…”). Résultat, je ne retiens pas assez – à mon goût – de la lecture, je rate les œufs et je suis capable d’oublier un tas de poussière au coin de la cuisine (non, ce n’est pas tout à fait vrai, en bon zèbre, je suis une machine logistique et c’est rare en vérité que je me plante comme ça).

Mais comme je me suis fatiguant ! La moindre tâche se diversifie, s’il faut revisser une porte de placard dans la cuisine, j’en profite pour, quitte à aller à l’atelier, prendre du matériel de peinture pour une retouche que je viens de voir dans la salle de bains en passant (foutue optimisation…) lequel matériel est en désordre donc je le range, non sans imaginant un système de classification afin de mieux retrouver les outils la prochaine fois, mais qui n’aurait guère de valeur dans un atelier sale donc je balaye et comme le balai est usé je vais en acheter un neuf – et arrive un moment où il me faut trois secondes pour me souvenir de pourquoi j’ai 4 vis dans la poche gauche et un pinceau dans la poche droite.

Ok, quand je dis “multitâches”, je bluffe. Il s’agit techniquement de l’aptitude à séquencer de multiple tâches en les découpant en tranches qu’il suffit d’imbriquer les unes dans les autres pour produire un résultat pluriel.

“Les neurologues français Étienne Koechlin et Sylvain Charron, du Laboratoire de neurosciences cognitives de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), ont utilisé l’imagerie médicale pour analyser l’activité cérébrale de personnes en mode multitâche. Leur conclusion publiée dans Science en 2010 : le cerveau n’est pas en mesure de réaliser plusieurs tâches de manière strictement simultanée. En fait, plusieurs zones peuvent s’activer en même temps, mais le cerveau ne traitera qu’une seule tâche à la fois. La zone préfrontale, située à l’avant du cerveau, assure une forme de coordination et de planification, un peu comme un commutateur permettant au cerveau de passer d’une tâche à l’autre en quelque 100 millisecondes (soit 0,1 seconde).

Sylvain Baillet et ses collègues Claire Sergent et Stanislas Dehaene, du Laboratoire Psychologie de la perception de l’Université Paris Descartes, soutiennent quant à eux qu’un quart de seconde (0,25 seconde) est nécessaire pour alterner d’une tâche à l’autre. « C’est l’intervalle de temps minimum pour que notre cerveau conscient enregistre et manipule les informations sensorielles relatives à chacune des tâches », confirme M. Baillet.

Ce qu’on appelle multitâche est souvent l’illusion de faire plusieurs choses en même temps, alors qu’en réalité, notre cerveau saute rapidement d’une tâche à l’autre. Le cerveau multitâche est donc en grande partie un mythe, sauf dans le cas de tâches rendues automatiques par l’apprentissage, qui peuvent alors être réalisées simultanément.”

Pour aller plus loin : article de science&avenir

Je ne sais pas aborder les actions les plus simples de la domesticité autrement que comme une pieuvre qui dédierait chacune de ses tentacules à une mission différente. Et si je converse avec vous sur Internet, n’y voyez pas d’offense mais vous serez probablement un des cinq fils de discussion que j’aurai ouvert dans mon navigateur – comprenez-moi, les intervalles entre deux de nos missives peuvent être mis à contribution pour échanger avec d’autres… Comme Jean-Pierre Bacri dans “Un air de famille”, je suis alors volontiers critiqué pour mon manque de considération. Il n’y aucun irrespect dans cette attitude, juste une gourmandise exacerbée. Faire une chose à la fois, pour moi, c’est l’ennui, et l’ennui, c’est la mort cérébrale. Là, je vous raconte ma vie mais je pense à ce que j’ai envie de manger, au store que je souhaite installer sur la terrasse, à où je vais aller faire du VTT demain et je réponds à mes filles qui me demandent le mode d’emploi de leurs talkie-walkies.

Et croyez-moi, plus souvent qu’à mon tour, si je pouvais éteindre cet ordinateur fou qui me sert de cortex, je serais ravi d’appuyer sur le bouton. Il a le don de me mettre la tête à l’envers ! A ce jour, je n’en ai pas trouvé l’emplacement.

Sinon, cela m’aurait par exemple épargné d’écrire cet article par tous les bouts en même temps, frénétiquement, constituant un bout de la seconde page tout en pensant à ce que je veux mettre dans la cinquième pour y sauter tout de suite, puis ajouter une illustration page une, chercher une citation pour l’introduction, reprendre où j’en étais page deux, bref tenter vainement de faire don d’ubiquité rédactionnelle et composer ma prose, de façon tout sauf linéaire mais dans une arborescence explosive, pas forcément très constructive, et au final… fatigante.

(Bon, je vous laisse continuer avec la page suivante, que j’écrirai demain matin, si je parviens à me coucher malgré mon envie fébrile, maintenant que j’ai commencé, de boucler le dossier complet cette nuit, et moi je vais rédiger la fin de l’article car j’ai une idée – vous me suivez ?)

Initialement publié le / Originally posted on 28 avril 2021 @ 3:41 pm

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8 commentaires sur “Zébrures ordinaires”

  1. Merci Damien, j’ai adoré ton article ! Je trouve vraiment génial ton approche descriptive, sans filtre, drôle. Mais du coup, je me pose plusieurs questions. Je me suis en partie reconnue dans la description (et quelque part, ça fait du bien), sauf que je me sens à l’opposé de toi dans ce que j’en fais. C’est-à-dire :
    – Je médite pour mieux contrôler ces pensées qui partent dans tous les sens
    – Je m’oblige à faire une chose à la fois, même si c’est dur (ref. Exemple atelier, je suis exactement pareil !) Mais je vais me “forcer” à traiter les choses dans l’ordre, même si c’est difficile.
    – Je cherche à rentrer dans le moule, à rentrer dans les codes.
    Du coup, quelle est la bonne solution ? Je dirai, celle qui ne nous fait pas souffrir 🙂
    Et là, je suis arrivée à un point où je ne supporte plus ces moules, ces carcans… Alors il faut oser être soi, et ça passe par retrouver qui on est. Pas facile !
    J’ai également une question : as-tu connu un moment”dépressif” dans ta vie, ou justement tous ces effets t’on submergés d’un point de vue négatif (injustice, problèmes de société, incompréhension de notre mode de vie en société qui paraît une aberration, perte de sens totale au travail…).
    En tout cas merci pour ton partage.

    1. Salut ! Merci pour ton retour 🙂
      Je te rejoins, la bonne solution est celle qui te fait du bien. Moi, je ne retire aucun bien à contraindre ma nature, donc je la laisse s’exprimer, plutôt en veillant à me procurer le repos et le ressourcement nécessaire – à ce titre, courir une heure dans la nature me fait autant de bien qu’une sieste ! Alors ce n’est que mon avis mais autant j’approuve la méditation (je médite – enfin c’est de l’état de conscience modifié – en courant longtemps car je ne tiens pas assez en place pour méditer assis sur un coussin) autant je me demande si te forcer à rentrer dans le moule te soit bénéfique… Quand j’ai accepté de ne plus le faire, je me suis révélé à moi-même et j’ai vraiment commencé à m’éclater dans la vie 🙂
      Je n’ai jamais connu de moment dépressif, je suis un éternel joyeux/content mais comme je le dis dans l’article, j’ai précisément conscience que le gouffre est toujours là tout près et je surveille ça ; par exemple en remplissant mon existence de pépites, d’expériences, de rencontres qui me mettent le coeur en joie et compensent largement ! Pour ne pas me sentir submergé je me recentre sur moi, j’assume d’être égoïste, de me donner la priorité, pour mieux et autant que faire se peut rayonner autour de moi 🙂
      Belle vie Amandine !

      1. Coucou
        Bien dit …. c’est à peu de choses près exactement ça. Je me retrouve dans presque tout mais en ne le vivant pas si facilement que toi. Syndrome de l’imposteur … les mots douance et haut potentiel
        me mettent mal à l’aise. Du coup, j’essaie de rentrer dans un moule qui ne me convient pas, et quand j’en sors, ça ne convient pas aux autres. Pfff … ça reste compliqué. J’ai découvert cette “bizarrerie” en cherchant sur le net pourquoi mes 5 sens m’en faisaient baver et bim ! J’ai pris une claque (comme toi quand tu as lu ce livre). Bref on va s’en accommoder hein ….
        Merci pour ce partage .

        1. Avec joie Marie, et puis que te dire : fais-toi confiance et respecte ta nature ! Elle revient au galop quand on la chasse, tu te souviens ? ça vaut pour les chevaux et les zèbres j’imagine 😉 Bon courage et bonne rencontre avec toi – comme dirait quelqu’un, “AiMe toi et le ciel t’aidera” ah ah. 🙂

      2. Correctif : je sors d’un tunnel de Covid19 qui m’a non seulement fait souffrir physiquement mais également fait plonger dans une phase dépressive, brève mais intense – plusieurs jours de pensées noires, de déprime complète. Première et unique fois de ma vie que je vois les choses avec autant de détresse et amertume. Intriguant. La maladie est partie, et je suis “moi” de nouveau.

  2. Bonjour Damien.
    Merci de ce joli site.
    Je prendrai plus de temps pour découvrir ces expériences, outils… cela fait du bien!
    Merci merci merci!!!
    Danièle

    1. Coucou Danièle, merci pour ce gentil mot. Faire du bien c’est ma vocation, à travers des films, des écrits, des publications, des images/photos – tout ce que je peux et sais bien faire. Alors ton retour fait mouche !Bon voyage sur la Planète.D et surtout fends toi d’autres retours j’en suis très friand 🙂 Belle journée.

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