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Quand la viande dévore la planète

Pollution, meurtres, maladies… Quand Agnès Stienne, du Monde Diplomatique, fait la synthèse chiffrée et visuelle de l’élevage. Un excellent travail didactique, de vulgarisation et d’analyse.

Quand l’industrie de la viande dévore la planète

par Agnès Stienne, 21 juin 2012

Les projections démographiques moyennes de l’Organisation des Nations unies (ONU) montrent que la planète accueillera neuf milliards de personnes en 2050, date à laquelle la population mondiale commencera à se stabiliser. Un vent de panique souffle sur la planète, certains Etats agitant le spectre de la surpopulation… Y aura-t-il alors suffisamment de ressources et de nourriture pour tous alors que déjà, en 2011, plus d’un milliard de personnes ne mangent pas à leur faim ?

Depuis quelques années, les pays qui craignent une pénurie se sont lancés dans une course effrénée pour acquérir de nouvelles terres arables que se disputent les industries de l’agroalimentaire et des agrocarburants. Et une violente controverse oppose ceux qui veulent utiliser les produits agricoles pour faire tourner les moteurs à ceux qui préféreraient qu’on nourrisse les êtres humains.

Mais peu dénoncent un business encore plus vorace en ressources naturelles, en produits agricoles et en espace : celui de l’industrie de la viande.

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) explique dans son rapport 2009 : « Du fait de l’expansion rapide du secteur de l’élevage, les terres et les autres ressources productives font l’objet de rivalités croissantes, ce qui pousse les prix des céréales de base à la hausse et met à rude épreuve la base de ressources naturelles, un mécanisme qui pourrait affecter la sécurité alimentaire (1) . »

« L’intervention publique est nécessaire pour atténuer l’impact de l’élevage sur l’environnement et s’assurer que ce secteur fournit une contribution durable à la sécurité alimentaire et à la réduction de la pauvreté. La production animale, comme toute autre activité économique, peut être associée à des dommages environnementaux. Le manque de clarté des droits de propriété et d’accès aux ressources et l’absence de bonne gouvernance du secteur contribuent à l’épuisement et à la dégradation des terres, de l’eau et de la biodiversité », précise-t-elle.

Nous sommes deux milliards à trop manger

La production animale n’a rien d’une activité marginale : en 2009, elle représentait 40 % de la production agricole mondiale. Fondé au tout début du XXe siècle aux Etats-Unis sur le modèle productiviste de l’industrie automobile, l’élevage industriel n’a cessé de croître tout au long du siècle, d’abord en Amérique du Nord et du Sud, puis en Europe et enfin en Chine.

L’envol des poulets
En 2009, la Chine était le premier producteur mondial de viande avec un peu plus de soixante-dix-huit millions de tonnes produites, devant les Etats-Unis, le Brésil et l’Allemagne.
Graphique : Agnès Stienne

Bien que ce mode de production se soit révélé calamiteux — pour l’environnement mais pas seulement — la FAO a soutenu sans faille l’industrie de la viande au prétexte qu’elle serait nécessaire pour éradiquer la faim dans le monde. Une promesse loin d’avoir été tenue ; c’est la santé de ceux qui en mangent le plus qui est affectée.

Production mondiale de viande en 2009
Cartographie : Agnès Stienne

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait en 2008 à 1,5 milliard le nombre de personnes atteintes de surcharge pondérale, 2,3 milliards d’ici 2015. Les boissons sucrées et les chips, à juste titre incriminées, sont associées à ce fléau sanitaire typiquement occidental. La viande rouge et la charcuterie sont elles aussi explicitement identifiées comme facteurs de dysfonctionnement à forte dose. Obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires et cancers du côlon sont des effets secondaires indésirables et dangereux d’une alimentation trop riche en protéines animales.

Les Etats-Unis carnivores
Graphique : Ag. St.

L’heure est donc venue, pour les carnivores invétérés, de reconsidérer sérieusement leur plat du jour en alternant riz complet, lentilles et cuisse de poulet… Un menu plus équilibré leur serait profitable, et profiterait d’ailleurs aussi à tous. Parce qu’à n’en pas douter, de ces pavés charolais quotidiens dépend l’avenir des futures générations. Au point que l’organisation onusienne ne dissimule plus ses préoccupations : « Le secteur agricole est le plus grand utilisateur et gestionnaire mondial de ressources naturelles et, comme toute activité de production, la production animale implique un coût environnemental. L’élevage est aussi souvent conjugué aux distorsions politiques et aux dysfonctionnements du marché, et par conséquent, il a sur l’environnement des conséquences qui sont souvent sans commune mesure avec son rôle dans l’économie. Par exemple, s’il représente moins de 2 % du PIB mondial, il est à l’origine de 18 % des gaz à effet de serre à l’échelle de la planète. » Voilà qui laisse songeur. « Le changement climatique représente une “boucle de rétroaction” spéciale, puisque la production animale contribue au problème en même temps qu’elle en subit les effets. Si des mesures adéquates ne sont pas prises pour améliorer la viabilité de l’élevage, les moyens d’existence de millions de personnes seront menacés. »

En d’autres termes, l’élevage intensif pervertit le génie des sociétés humaines en agissant négativement sur les équilibres naturels, sociaux, ruraux, environnementaux, économiques et sanitaires.

Les grandes structures à l’honneur
Graphique : Ag. St.

Traditionnellement, on pratique l’élevage quand la nourriture pour le bétail est disponible sur place, souvent en complément d’une agriculture céréalière et maraîchère (système de production mixte). Les pâturages, naturels ou cultivés, font l’objet d’une attention permanente pour permettre la régénération de la prairie après le passage des ruminants. Ce qui implique leur déplacement constant pour éviter les piétinements, la destruction des plantes et la concentration des déjections qui affectent la qualité des sols et de l’eau.

Pour les animaux restés à l’étable, la nourriture provient des résidus de récoltes, des déchets de l’alimentation humaine, de fourrages enrichis de pois, de lupins et de féveroles. Les cochons fouinent sous les arbres à la recherche de fruits et de glands dont ils raffolent. Bucolique ? Il se trouve que les pratiques ancestrales ne sont pas complètement dénuées de sens, de science et d’efficacité. Il n’est pas question de revenir à l’agriculture de nos lointains ancêtres mais bien de développer une agriculture paysanne moderne fondée sur les savoir-faire traditionnels, régionaux et durables.

Les systèmes de production mixtes ne sont pas, par nature, ceux qu’affectionne l’industrie de la viande. La diversité impliquerait un processus beaucoup trop compliqué et donc coûteux. Donc, vive l’usine à viande formatée et les chaînes d’approvisionnement sans fin qu’un technicien actionne en appuyant sur des boutons depuis son bureau.

On distingue deux catégories de production animale industrielle : le pâturage, lequel concerne surtout les bovins, et l’exploitation hors-sol où sont concentrés porcs ou volailles dans des bâtiments en béton.

Les pâturages recouvrent 60 % des terres agricoles, le fourrage quant à lui occupe 35 % des terres arables. Au total, 78 % des terres agricoles sont ainsi dédiées au bétail et à son alimentation.

L’essentiel des terres pour l’élevage
Illustration : Ag. St.

On cherche à minimiser les coûts en « rationalisant » toute la chaîne de production jusqu’à la distribution, abattage et transformation inclus : réduction de la main-d’œuvre, automatisation et programmation des tâches, standardisation des produits. Tout un manège mis en œuvre pour répondre aux diktats productivistes de l’« agrobusiness » et de la grande distribution.

On perd jusqu’à la notion d’animal : on fabrique des côtelettes comme on fabrique une voiture, à partir d’une matière première. La différence est qu’elle est vivante et souvent souffrante.

Sélection après sélection, les bêtes ont été « élaborées » par des instituts agronomes tels que l’Institut national de recherche agronomique (INRA) en France dans le but d’obtenir des hybrides qui se distinguent pour le développement rapide de leur masse musculaire et leurs performances reproductrices.

En contrepartie, les organes vitaux sont réduits au strict minimum et ne sont plus à même de remplir leurs fonctions originelles. Les animaux sont devenus hypersensibles aux maladies, d’où le recours fréquent aux médicaments, ce qui contribue au développement des bactéries résistantes aux antibiotiques dans le monde, un casse-tête pour les chercheurs avec de graves conséquences sur la santé publique (2) . Ces pratiques sélectives à outrance ont conduit à la quasi disparition des espèces naturelles et régionales.

Pâturages entre meurtres et déforestation

« L’augmentation des surfaces allouées à l’élevage contribue à la déforestation dans certains pays, alors que l’intensification de la production animale entraîne un surpâturage dans d’autres. En raison de la concentration géographique croissante de la production animale, la quantité de fumier produite par les animaux est souvent supérieure à la capacité d’absorption des sols. Le fumier devient ainsi un déchet au lieu d’être une précieuse ressource comme dans les systèmes moins concentrés de production mixte », explique encore la FAO.

A l’origine, les éleveurs menaient leur troupeau à travers des pâtures en accès libre en veillant à respecter le cycle naturel des herbages. Mais le morcellement des terres par la mise en culture et l’urbanisation a considérablement limité les possibilités de circulation des troupeaux alors que, simultanément, la demande en viande a augmenté. Les pâturages intensifs, dans certaines régions du monde, représentent une véritable catastrophe écologique qu’on aurait tort de sous-estimer.

Dans les régions sèches ou semi-arides, comme le Sahel ou l’Asie centrale, la densité trop élevée d’animaux a détruit le couvert végétal, provoquant l’érosion des sols et l’altération des cycles de l’eau (3) .

C’est toutefois dans les pays industrialisés, Etats-Unis en tête, et en Amérique latine que les bouleversements agricoles ont été les plus radicaux. 90 % des prairies d’Amérique du Nord et 80 % du cerrado (savane) d’Amérique du Sud ont été urbanisés ou convertis en surfaces cultivées — en partie d’ailleurs pour la production d’agrocarburants, de fourrage et de céréales destinés à l’exportation.

Un des cas les plus préoccupants est celui du Brésil. Premier producteur et exportateur mondial de viande bovine et de cuir, le Brésil pèse à lui seul 30 % du marché mondial avec 2,2 millions de tonnes de viande exportées par an, principalement vers la Russie et l’Union européenne. Et Brasilia entend bien ne pas en rester là.

Une enquête menée par Greenpeace et publiée en 2009 montre que l’élevage bovin brésilien est responsable de 80 % de la déforestation de l’Amazonie. En dix ans, ce sont dix millions d’hectares de forêts qui sont parties en fumée pour laisser brouter deux cent millions de bovins, ce qui fait du géant sud-américain un des champions (le quatrième) d’émissions de gaz à effet de serre de la planète.

Dans son rapport, Grégoire Lejonc, chargé de campagne forêts de l’organisation non gouvernementale, peste contre l’attitude ambiguë du président de l’époque, « Lula », qui avait annoncé un plan d’action contre le changement climatique, lequel devait conduire le Brésil à réduire de 72 % le déboisement illégal d’ici 2018. « Or, ce rapport prouve clairement que 90 % de la déforestation annuelle en Amazonie est illégale tandis que des lois régularisant de facto des terres accaparées pour l’élevage ont été adoptées récemment. » Puis d’ajouter que « le gouvernement brésilien est l’un des principaux bailleurs de fonds et actionnaires du secteur de l’élevage en Amazonie, ce qui fait de lui un véritable promoteur de la déforestation amazonienne »…

En mai 2011, Le Monde se faisait l’écho d’un projet de réforme du code forestier approuvé par la Chambre des députés brésilienne, contre l’avis de l’actuelle présidente Dilma Rousseff, assouplissant les lois régissant la protection des forêts. Selon Jean-Pierre Langellier, « la réforme prévoit de ne plus obliger les “petits” agriculteurs à reboiser la réserve illégalement détruite » comme c’est le cas actuellement. « Plus de 90 % des propriétés rurales du pays ne respectent pas les quotas exigés par la loi ; 600 000 km2 de terres devraient être replantées et ne le sont pas. […] Les députés hostiles à la réforme accusent les grands exploitants de s’être cachés sous la bannière des “petits” pour défendre leurs intérêts ». Néanmoins, la présidente « rejette un élément capital du texte : “l’amnistie” des déboiseurs illégaux ». En conclusion, le journaliste nous rappelle que la bataille qui se joue en Amazonie s’avère d’une extrême violence pour les paysans écologistes et les peuples indigènes : « Le jour du vote, un militant écologiste, Joao Claudio Ribeiro da Silva, et sa femme ont été assassinés. Le couple avait reçu des menaces de mort d’éleveurs et de bûcherons. Ce double meurtre rappelle, après beaucoup d’autres, que les intérêts en jeu en Amazonie peuvent pousser certains jusqu’au crime. »

Interrogé sur ce sujet par l’Agence France-Presse (AFP), José Batista, avocat de la Commission Pastorale de la Terre (CPT), qui suit les conflits agraires en Amazonie indique que « la confiance accordée par les paysans aux autorités du Pará est limitée, en raison du “degré d’impunité” qui y règne. Au cours des quarante dernières années, il y a eu plus de 800 assassinats dans le Pará, la plupart commis par des tueurs à gages. Au total, nous avons réussi à faire un procès à seulement neuf présumés responsables et abouti à en faire condamner huit : mais aujourd’hui, il n’y en a qu’un en prison » (4) .

Les entreprises d’intimidation dirigées par les gros exploitants ne ciblent pas exclusivement les paysans. L’ONG Survival dénonce depuis plus de quatre décennies le massacre des indiens vivant dans la forêt brésilienne : « Des peuples entiers sont menacés de disparition. Ainsi, il ne reste plus aujourd’hui que six survivants de la tribu Akuntsu du Brésil, les autres membres de leur groupe ayant été massacrés par des éleveurs. » Et ce n’est qu’un exemple.

Quand le bétail mange la forêt…
Illustration : Agnès Stienne

L’élevage bovin n’est pas l’unique activité agricole à sacrifier d’immenses étendues de forêt sur l’autel du profit. La culture de soja en est une autre, tout aussi dévastatrice, dont la destination est l’estomac du bétail.

Commerce de tourteaux de soja, de viande bovine, porcine et avicole
Cartographie : Ag. St.

Exploitation hors sol, pollutions et famines

« Le mot de tragédie est faible. Pour faire grandir plus vite nos veaux, vaches et cochons, l’industrie de l’élevage importe 80 % des protéines qui leur sont destinées. Essentiellement du soja venu d’Amérique latine. Lequel détruit à la racine l’Argentine, le Paraguay, le Brésil… » C’est sur ces mots que s’ouvre le chapitre cinq de Bidoche (Les liens qui libèrent, 2009), le livre de Fabrice Nicolino publié en 2009 sur l’industrie de la viande. Ses pages retracent l’histoire de l’élevage industriel, des firmes qui lui sont intrinsèquement liées telles InVivo ou Cargill, Sanders ou Guyomarc’h et de la « zootechnie ».

Selon le mouvement paysan Via Campesina, « la monoculture de soja occupe désormais un quart de toutes les terres agricoles du Paraguay et elles se sont développées au rythme de 320 000 hectares par an au Brésil depuis 1995. En Argentine, 5,6 millions d’hectares de terre non agricole ont été converties entre 1996 et 2006 pour produire du soja, pays où il occupe déjà la moitié des terres agricoles. Les effets dévastateurs de ces exploitations sur la population et sur l’environnement en Amérique latine sont bien documentés et reconnus par de multiples acteurs ».

Dans de sinistres hangars de béton, les animaux, croupissants par milliers, ingurgitent leurs rations quotidiennes d’aliments concentrés produits par de grosses sociétés agroalimentaires. 742 millions de tonnes de céréales ont été dévorées par les usines à viande en 2005. Qu’on ne s’y trompe pas : les céréales qui entrent dans la composition de cette pitance ne sont pas des résidus d’autres cultures. Elles sont semées, irriguées, traitées et récoltées tout spécialement pour engraisser le bétail.

Que mange le bétail ?
Graphique : Ag. St.

En 2009, sur la quantité totale de blé, de maïs et d’orge produits dans le monde, près de 42 % ont été transformés en aliments concentrés pour bétail.

Production céréalière pour le bétail et… pour le reste.
Graphique : Ag. St.

Lorsqu’on observe l’évolution des surfaces agricoles allouées aux principales céréales et au soja, on prend la réelle mesure des choses… Le riz, qui n’entre pas dans l’alimentation du bétail, stagne depuis une vingtaine d’années. Les rendements se sont améliorés mais tout de même, la démographie a connu parallèlement une progression sans précédent. La production de blé a fortement chuté avant de reprendre sa progression, sans pour autant revenir à son niveau de 1980. En progression constante, le soja (qui a presque doublé en vingt ans) et le maïs qui a dorénavant dépassé la production de riz.

Surfaces cultivées
Graphique : Ag. St.

Le rapport entre viande et céréales est le suivant : il faut au moins sept kilos de céréales pour fournir un seul kilo de bœuf, quatre kilos pour un kilo de porc, deux kilos pour un kilo de poulet.

Les pressions croissantes qui s’exercent sur les ressources agricoles, ajoutées à l’action des spéculateurs, ont rendu plus vulnérables les plus pauvres. Dans son rapport de 2006, la FAO s’alarmait à propos de la Chine : « La production et les importations d’aliments pour le bétail sont en hausse. Les importations totales de produits alimentaires pour animaux ont rapidement augmenté et font craindre que la croissance du secteur de l’élevage en Chine ne se traduise par une flambée des prix et par des pénuries mondiales de céréales, comme cela a été souvent mentionné. » On connaît la suite, l’année 2008 a été celle des émeutes de la faim provoquées par la forte hausse des prix des matières premières sur le marché international.

Alors que la planète subissait les premiers soubresauts de la crise financière, ces tragédies auraient pu servir de leçon. Loin s’en faut. Malgré la baisse des coûts réels de la production des céréales, leurs prix de vente ne cessent d’augmenter. La Banque mondiale signalait dans un communiqué en février 2011 : « Les prix alimentaires mondiaux sont en train d’atteindre des niveaux dangereux, et constituent une menace pour des dizaines de millions de pauvres à travers le monde. Cette hausse des prix est déjà en train de faire basculer des millions de personnes dans la pauvreté et d’exercer des pressions sur les plus vulnérables, qui consacrent déjà plus de la moitié de leurs revenus à l’alimentation. »

Poison quotidien

Pour celui qui trouve pitance en abondance dans les pays riches, il est toutefois recommandé de regarder à deux fois ce qu’il y a dans l’assiette. Qui dit industrie de la viande dit industrie fourragère. Celle-ci adopte les principes de l’agriculture intensive à savoir l’utilisation tous azimuts de pesticides, d’herbicides, d’engrais chimiques et d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Cette mixture est ingérée par les bêtes avant de se retrouver dans les petits plats dont les consommateurs confiants se délectent (voir ou lire à ce sujet Notre poison quotidien de Marie-Monique Robin — Arte éditions / La Découverte, 2011, pour le livre, Arte éditions / Ina éditions pour le DVD). Et ce n’est pas tout… On y retrouve aussi des résidus de médicaments et de vitamines de synthèse.

En effet, les bêtes issues de la zootechnie sont anormalement faibles, et donc atteintes de pathologies diverses. Par ailleurs, la concentration des animaux est telle que la moindre infection décime l’ensemble du cheptel. Pour éviter à tout prix une hécatombe qui serait fatale pour l’exploitant, les antibiotiques sont distribués, non plus à titre curatif, mais à titre préventif.

Les descriptions qui sont faites des traitements infligés aux animaux dans ces blocs de béton, qu’ils soient porcs, veaux ou poulets, sont affreuses. Dans ces mouroirs, toutes les conditions sont réunies pour ouvrir la voie aux souches infectieuses transmissibles à l’homme. Maladie de la vache folle (encéphalopathie spongiforme bovine), grippe aviaire, grippe « porcine »…

Fabrice Nicolino rapporte le cas du Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) ou « Staphylocoque doré », une bactérie mutante présente dans les porcheries industrielles d’Amérique du Nord et d’Europe et qui, selon lui, a eu raison de l’antibiotique qui la détruisait auparavant. Voici ce qu’il écrit : « En octobre 2007, une étude retentissante qui paraît dans la revue Veterinary Microbiology révèle des faits très graves. Menée dans vingt porcheries industrielles de l’Ontario (Canada), elle montre que le SARM est présent dans 45 % d’entre elles. Qu’un porc sur quatre est contaminé. Qu’un éleveur sur cinq l’est aussi. » Plus loin, il ajoute : « En Belgique, toujours en 2007, un autre travail commandé par le ministre de la Santé publique Rudy Demotte, indique que, dans près de 68 % des porcheries étudiées, une souche SARM est présente chez les animaux. Et cette même bactérie résistante est retrouvée chez 37,6 % des éleveurs de porcs et des membres de leur famille. Or, dans une population sans rapport avec l’industrie porcine, elle n’est que de 0,4 % ! » Il semble qu’aucune étude n’ait été réalisée en France ou aux Etats-Unis.

Autre source d’inquiétude : l’eau

Les quantités d’eau englouties par les cultures fourragères représentent 8 % de la consommation mondiale de l’eau, quantités auxquelles il faut ajouter l’abreuvage des bêtes et le nettoyage des bâtiments. C’est colossal. La FAO rapporte qu’au Botswana, la consommation directe d’eau pour l’élevage représente 23 % du total.

Dans les pays tempérés, c’est plutôt la qualité de l’eau qui inquiète. La Bretagne regroupe 60 % de la production nationale porcine (sur quatre départements, mais principalement concentrée dans les Côtes-d’Armor et le Finistère). Sans compter les vaches et les volailles. Beaucoup trop par rapport à ce que la région est en mesure de gérer. La pollution des sols, des eaux de source et du littoral sont aujourd’hui endémiques.

Une porcherie, comment ça marche ?
Graphique : Ag. St.

Ils dévastent leurs terroirs, mais les éleveurs de porcs bretons portent leur regard ailleurs. Ils ont lancé à l’été 2011 un slogan pour redorer leur blason entaché de lisier : « il grogne, il pète, et pourtant… » Ils n’ont pas osé aller plus loin. Et pourtant. Quatorze millions de porcs (privés de paille) produits en 2010, ce sont des milliers de tonnes de lisier, un sulfureux cocktail d’azote et de phosphore, que les exploitants disséminent par épandage sur des sols plus que saturés. D’autres se contentent de déplacer le problème : en 2009, la petite entreprise Lemée en Côtes-d’Armor se félicite d’avoir ainsi exporté plus de 100 000 tonnes d’effluents de lisier, sans toutefois en préciser la destination…

Anabaena flosaquae, Aphanizomenon flosaquae, Microcystis aeruginosa et Plankthotrix agardhii… Joliment appelées « algues bleues », les cyanobactéries contaminent, année après année, les eaux des rivières bretonnes dont l’ingestion ou le contact provoque maux de tête, gastro-entérite, et des irritations cutanées et oculaires. Dans quelles conditions se développent-elles ? Lumière, température clémente, présence importante d’azote et de phosphore.

Ulva armoricana, ulve, salade de mer, laitue de mer, classe des chlorophycées, bref, l’ « algue verte ». Comment prolifère-t-elle ? Lumière, température clémente, excès d’azote et de phosphore. Echouée sur le rivage, elle se décompose très vite en dégageant un gaz toxique. En juillet 2009, une marée verte entraîne la mort d’un cheval sur une plage de Côtes-d’Armor. Son cavalier tombé dans le coma sera sauvé.

Deux ans plus tard, deux marcassins sont retrouvés morts sur une plage des Côtes-d’Armor envahie par les mêmes algues vertes. S’exprimant à ce sujet dans le journal Le Monde, Alain Menesguen, directeur de recherche à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ne s’étonne qu’à moitié : « Bien avant 2009, il y avait de nombreux cas de chiens trouvés morts sur des plages. Officiellement, ce n’était jamais dû aux algues vertes. » Commentant les propos de Nicolas Sarkozy qui « refusait de désigner des coupables, de montrer du doigt les agriculteurs », et dénonçait « les intégristes de l’écologie » quelques jours avant l’incident : « C’est un discours un peu étonnant, parce qu’on pensait avoir enfin franchi un tournant en août 2009, lors de la visite du premier ministre, François Fillon, à Saint-Michel-en-Grève, après la mort d’un cheval. Pour la première fois, les services de l’Etat avaient alors reconnu officiellement que les nitrates agricoles étaient à l’origine des marées vertes. »

L’Etat français, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a empêché la tenue d’un débat public sur cette question. Il a plutôt soutenu ce mode d’élevage dévastateur au prétexte que la méthanisation débarrassait les campagnes du lisier et des algues vertes. L’association Eaux-et-Rivières de Bretagne fulmine : « Nicolas Sarkozy méconnaît un problème vieux de quarante ans, abuse l’opinion et rend un bien mauvais service à la protection du littoral. Ce n’est pas en industrialisant davantage l’élevage breton que l’on répondra aux enjeux environnementaux et sociaux-économiques majeurs qui se posent en Bretagne. »

La méthanisation des algues vertes ou du lisier, loin d’améliorer la situation, l’aggrave. Le procédé consiste à produire de l’énergie à partir de matières en décomposition. Problème : lisier et algues vertes contiennent énormément d’eau. Solution : ajouter des matières sèches telle la paille — dont on prive les animaux — et le maïs pour enclencher le processus, ce qui en soi est un non-sens. Résultat : les boues résiduelles sont en fait un concentré de nitrates. Pour rentabiliser le système, il faudrait… augmenter la quantité d’algues vertes et de lisier. Absurde.


Sources et références

— France Nature Environnement ;

— Les rapports de la FAO sur « La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture » : en 2009 « Le point sur l’élevage », et en 2006 « L’aide alimentaire pour la sécurité alimentaire ? » ;

— Bidoche, l’industrie de la viande menace le monde de Fabrice Nicolino, éditions Les Liens qui Libèrent (LLL). Autour du livre, « Les ravages de l’industrie de la viande », par Jocelyne Porcher, Rue89, octobre 2009 ;

— Bovins et humains au Brésil en 2007, cartographie.

Sur les élevages porcins polonais gérés par la méga firme Smithfield, propriétaire entre autres des marques françaises Aoste, Justin Bridou et Cochonnou :

— Pig business ;

— « Smithfield Foods : Cruel to Pigs and Humans », par l’association américaine People for the Ethical Treatment of Animals (PETA) ;

— « Can Chicken Save the World ? », par Yelena Galstyan, The Daily Green, 18 juillet 2011.

auteur : Agnès Stienne

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Initialement publié le / Originally posted on 7 octobre 2015 @ 7:06 am

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